N’écrase pas cette fourmi ! Le Bon Dieu va te punir, lui dis-je dans un rire non contenu.
- C'est relou une fourmi... Et, pis, Dieu, j'kiffe pas trop !
- Tu vois Dieu, s'il existe, il doit être comme un homme qui écrase des insectes en marchant dans l'herbe. Il assassine des êtres vivants sans même s'en rendre compte. Parce qu'il est plus puissant qu'eux. Une vraie tragédie.
Mets le pied par mégarde dans un nid de fourmi ! Fasciné par les fourmis, tu verras, tu deviens méchant sans le vouloir, tu t'amuses à mettre des embûches sur leur passage, tu déterres leurs oeufs. Juste pour voir.
Dieu fait peut-être la même chose. De temps en temps, par hasard, il lui arrive de mettre le pied dans un nid d'hommes et il joue avec nous uniquement pour savoir comment nous allons réagir... pour savoir si au moins nous allons réagir... J'essaie de respecter les insectes, parce que j'aimerais bien que Dieu apprenne à respecter les hommes.
- C'quoi c’t’histoire de ouf?
- Le passage d'un film, dont j'ai oublié le titre et le nom de l'auteur...
- Oui, mais c'est relou, une fourmi !
- Oh ! tu me saoules !
- Tu crois en Dieu, toi, maintenant ?
- Ouiiiii... enfin... non...
- Tu pries, toi ?
- J'ai prié Dieu, ou plutôt un être supérieur. Plus jeune, en fait, je parlais plus avec Dieu que je ne le priais. Ma relation avec cet absolu a pris la forme d'une spiritualité de tradition sans grande conviction, une spiritualité ordinaire ! Aujourd'hui, cette relation est plus désincarnée, plus forte. Si ma relation directe avec « l'être supérieur » par le monologue s'estompe, c'est qu'elle s'incarne mieux dans d'autres aspects de mon existence, comme la création. La création caresse l'âme. Elle s'adresse à l'âme pour retourner au divin. Je m'attarde sur l'esprit sacré des choses. D'un arbre, d'un jeu de lumière, d'un caillou, d'un bout de ciel bleu, d'une fleur, d'une fourmi
- Une petite fourmi ?
- Oui ! Même, une toute petite fourmi. Une larme, l'étincelle d'un regard, un geste, un sourire, un raton laveur...
- C'cool, un raton laveur
- Je te parle du sacré, de la quête d'un absolu, sans le nommer explicitement ! Je donne à cette incarnation du sacré le nom que je veux. Cela me parait bien ainsi. J'essaie, de trouver ma joie dans de grandes petites choses pour devenir enfin un être conscient, capable de répondre par moi-même.
Ceci fait qu'il y a toujours quelque chose que je puisse faire dans ma vie et de ma vie, une idée, un but pour lequel je puisse mourir avec joie, ou vivre.
N'écrase pas cette fourmi...
Je sais...
- Tu sais quoi ?
- Le Bon Dieu... dit-il, dans un rire contenu.
Guy Paillard